Le mythe d'Emma

Pour apprécier les tableaux, il faut les regarder innocemment et sans essayer de se protéger par des références artistiques, littéraires ou simplement anecdotiques. Emma Reyes nous montre candidement sa dernière production : sa dernière récolte pourrait-on dire, puisqu'il s'agit de légumes. Minutieusement décrits sur le papier, il y a des navets, des laitues, des choux, des asperges. Décrits et écrits, car l'écriture d'Emma Reyes ne peut se confondre avec nulle autre. Ce graphisme qui a été toujours présent dans ses œuvres tant abstraites que figuratives, et qui donne unité et personnalité aussi bien à un paysage d'Israël qu'à un énorme collage de boutons, au labyrinthe infini des lignes d'un visage ou maintenant à la trame complexe et toujours variée de ses légumes, ce graphisme est la base formelle de sa peinture.

Une des valeurs de l'art est de nous faire voir ce que nous ne voyons pas. Emma nous fait voir les légumes. Un chou n'est déjà plus simplement un chou mais bien plus. Vus de près comme elle nous les montre, avec le graphisme fou de ses milles feuilles, avec la sensualité humide de ses formes charnues et avec ces nuances infinies de couleurs, ses fruits et légumes acquièrent une dimension grandiose et atroce. Ils sont atroces car ils nous montrent des entrailles que nous ne devrions pas voir. ils sont beaux et angoissants parce qu'ils nous révèlent des formes et des couleurs distinctes, des matières insoupçonnées ou peut être que nous soupçonnions parce que nous les portions en nous et que nous ne voulions ni savions les voir. Ses légumes sont humains car ils sont elle et nous: car ils sont mythiques et que par eux le mythe d'Emma devrait déjà devenir le mythe de sa peinture.

Luis Caballero Paris,1985